La conservation des manuscrits du Cambodge : une situation d’urgence absolue |
C’est peu de dire que le patrimoine littéraire manuscrit traditionnel du Cambodge a souffert de l’autodafé qui s’est déroulé au cours des dernières décennies du XXe siècle. Il est difficile de faire une comparaison de l'état présent de bibliothèques avec l'état précédant ce qu'il est convenu d'appeler les « événements », car aucun inventaire sysrtématique n’avait jamais été fait et parce que les bibliothèques disparues s’ornent, dans les mémoires nostalgiques, des richesses les plus grandes et de proportions mythiques. On peut pourtant, sans risquer de se tromper, en extrapolant le nombre de bibliothèques de monastères entièrement détruites et celui des textes partiellement perdus, estimer que, entre le début de la guerre en 1970, et le début du travail d’inventaire entrepris dès la fin de 1990, quelque 98% du patrimoine littéraire gravé sur des feuilles de latanier ou inscrit sur du papier traditionnel ont été détruit au Cambodge. Dans plus de 80% des quelque mille deux cents monastères que l’équipe du Fonds pour l'Édition des Manuscrits au sein de Cambodge de l'École française d'Extrême-Orient (EFEO-FEMC) a visité à ce jour, les bibliothèques ont été entièrement détruites. Il faut savoir, par exemple, que 358 des 433 monastères de Phnom Penh et de la province de Kandal ne possèdent plus un seul manuscrit et, dans les vestiges de celles où quelques manuscrits ont pu réchapper du désastre, plus de deux tiers des documents sont incomplets. Les sondages ponctuels effectués dans huit autres provinces montrent ce ces proportions ont malheureusement une forte valeur de probabilité statistique pour le Cambodge dans son entier. Or le Cambodge présente la caractéristique assez rare d’être un pays mieux documenté sur son antiquité que sur les périodes précédant la modernité, plus riche en témoignages architecturaux ou artistiques du VIIe ou du VIIIe siècle, que du XVIIe ou du XVIIIe siècle dont il ne reste pratiquement rien. À ce titre, les bibliothèques monastiques constituaient presque les seules traces tangibles de permanence d’une vie intellectuelle, religieuse et artistique, en somme d’une vie sociale active et féconde dans ce pays au cours des siècles qui ont suivi la ruine économique d’Angkor. De nos jours encore, du fait de la négligence générale qui prévaut encore dans la plupart des monastères à l’égard des textes anciens, et parfois du fait de l’attachement de certaines communautés villageoises à la vieille tradition consistant à placer ses livres manuscrits dans le bûcher lors de la crémation d’un chef de pagode prestigieux, des manuscrits traditionnels disparaissent quotidiennement. Le travail de sauvetage et d’inventaire des manuscrits du Cambodge revêt donc un caractère d’urgence absolue. |