La découverte des manuscrits in situ et la constitution d’outils de recherche. |
L’intérêt et la bienveillance des vénérables et des achars à l’endroit des travaux de l’équipe de l’EFEO-FEMC se sont montrés constants. Partout où elle est passée, l’équipe de l'EFEO-FEMC a procédé à la localisation, à la restauration physique, au microfilmage, à l’identifi¬cation et à l’inventaire des manuscrits subsistant. Pour des raisons déontologiques – et parce que, malgré l'incurie avec laquelle ils traitent ces ouvrages, les vénérables des pagodes ne nous les auraient pas confiés –, et malgré les contraintes techniques que cela pouvait engendrer, ces manuscrits n’ont jamais été déplacés des monastères où ils se trouvaient, toutes les phases du travail étant réalisées sur place. Ce travail à la fois systématique et méthodique a donné lieu à la constitution d’un fonds photographique de quelque 130.000 clichés – dupliqués dans l'intention de constituer un jeu l'attention des autorités du Cambodge –, et d’un inventaire informatisé. En quelque vingt ans de travail sur le terrain, l’équipe de l'EFEO-FEMC a visité plus de mille monastères, notamment, mais pas exclusivement, dans les provinces de Kandal, de Kompong Cham et de Siem Reap. A peine plus d’une centaine de ces monastères possédaient encore un fonds de manuscrits. Le plus souvent, les textes qui subsistaient étaient sommairement réunis en fagots faits d’ôles liées serrées dans une étoffe orange, couverts d’une poussière et de chiures de toutes nature qui témoignaient de leur abandon prolongé : le temps est bien révolu où George Cœdès pouvait dire « Les bonzes du Cambodge ont en général assez de soin de leurs manuscrits» (Cœdès 1912, 178). Il est arrivé parfois qu’il faille retrouver ces documents au fond de caches improbables que les occupants actuels de lieux ignoraient eux-mêmes, notamment dans le faux-plafond de certains vihæra. Il faut saluer, au passage, la mémoire de ces quelques fidèles anonymes qui, pendant la guerre américaine ou bien sous le régime du Kampuchéa démocratique, ont pris le risque de protéger les manuscrits si précieux à leur yeux, mais qui n’ont pas survécu à l’horreur des temps pour les replacer eux-mêmes dans les sanctuaires de leurs pagodes. Le travail de restauration consistait donc, en premier lieu, à dépoussiérer un par un chacun des feuillets retrouvés, à les nettoyer à l’eau douce s’il le fallait avant de les frotter d’huile de palme et de les faire sécher. Les feullets étaient ensuite remis en ordre pour recomposer les liasses, puis les liasses réunies pour reconstituer les ouvrages. Parfois, lorsque les caractères gravés étaient trop estompés, il était nécessaire, pour les rendre les textes photographiables, de procéder au réencrage des ôles par l’application d’un tampon imbibé d’huile de palme et de noir d’ivoire. Après photographie des feuillets étalés à plat, les liasses étaient reliées avec des cordons neufs. L’EFEO-FEMC a dû ainsi organiser des ateliers de « vieilles » (yæy) chargées de fabriquer, selon les techniques les plus traditionnelles des cordelettes polychromes, mélange de soie et de coton. Ailleurs, des « vieux » (tæ) étaient chargés de la fabrication des étuis faits de claies de lattes de bambou cousues dans des tissus de couleur. Lorsqu’il y avait lieu, l’EFEO-FEMC a offert aux monastère des armoires vitrées pour recevoir et conserver les manuscrits. Ce don, toujours reçu avec des marques sensibles d’appréciation, avait lieu au cours de cérémonies simples mais ostensibles, les /bon praken/ (pu◊y pragen), qui réunissait habituellement un grand concours de population. Le travail effectué dans les seuls monastères de Phnom Penh et de la province de Kandal, entre 1991 et 1996, a permis de restaurer physiquement, d’identifier, d’enregistrer en les microfilmant et de protéger près de deux mille ouvrages, représentant plus de quatre cents textes distincts, dont plus des deux tiers sont composés ou transcrits en langue khmère, le reste étant recopié en langue pæli. Le rétablissement de la sécurité sur l’ensemble du territoire, à partir de 1998, a permis de continuer le même travail à un rythme plus soutenu dans la province de Kompong Cham, de loin la plus riche en monastères et en vestiges de bibliothèques de tout le Cambodge. Le travail de l'EFEO-FEMC y est cependant ralenti épisodiquement par diverses fortunes, heureuses quand un fonds important contraint l'équipe à séjourner dans un même monastère plusieurs mois pour achever la remise en état et l'inventaire de sa bibliothèque, moins heureuses quand des inondations ou des problèmes d'insécurité interdisaient l'accès aux villages, parfois pendant plusieurs semaines. Au mois de novembre 1996, l'équipe de l'EFEO-FEMC eut la fortune inouïe de découvrir au Vatt Phum Thmei Serey Monkgol (bhºmi thm‚ sir‚ maßgal) dans la province de Kompong Cham, la seule bibliothèque du Cambodge qui n'ait été détruite ni par la guerre ou par ni le vandalisme des Khmers rouges. Quelque 50.000 feuillets épars retrouvés sur place ont permis de reformer 2510 liasses d’ôles – tandis que l’ensemble des 393 monastères de Phnom Penh et Kandal n'en possédaient plus que 3305 – représentant 1210 ouvrages, dont 200 textes en langue khmère et quelque 70 textes en pæli. Les deux tiers des ouvrages de ce fonds remarquable étant complets, la bibliothèque du Vatt Phum Thmei Serey Monkgol, dont la restauration n'a été totalement achevée qu'en 1998, est désormais notre principal instrument de reconnaissance pour la reconnaissance et l'identification des textes. |