Évaluation du classement des manuscrits mis en oeuvre par l’EFEO-FEMC |
Avec le recul et l’expérience acquise, que par définition l'équipe de l'EFEO-FEMC ne possédait pas au début de sa mission, les faiblesses de cette classification apparaissent clairement ; l’authenticité avec laquelle elle représente les conceptions originales des lettrés khmers semble pourtant plus avantageuse que ne sont préjudiciables ses défauts. Le trait le plus manifeste et le plus intéressant de ces conceptions originales des Khmers tient au regroupement dans le groupe des « Textes traditionnels », des deux genres que constituent les « récits traditionnels » (V. 1) et les « textes de méditation » (V. 3). Bien qu’ils fassent partie intégrante de la littérature bouddhique du Cambodge, les textes réunis dans ces deux genres sont classés systématiquement par les Khmers à l’écart ceux qui constituent le groupe des « Textes de prédication » (III. 1 à III. 6). Cette discrimination n’est pas accidentelle : elle repose sur la différence fondamentale du mode de transmission des textes de l’un et de l’autre groupe. En effet, les ouvrages appartenant aux six genres des « Textes de prédication » correspondent à un enseignement ouvert, socialement organisé dans le cadre des monastères, notamment lors des rituels de prédication accomplis en public par les religieux. Dans le vocabulaire des khmers, l’ensemble de cette littérature constitue le /beydok/ (pi†aka), quelque distante que puisse être la relation des textes en question avec le véritable canon pæli des « Trois Corbeilles » (traipi†aka). Par opposition, les textes qualifiés de « traditionnels » ressortissent à un enseignement initiatique induisant la pratique de rituels, organisé dans le cadre étroit et toujours personnel de la relation unique qui unit un maître à un disciple. Bien que les textes ressortissant à ce type d'ensei¬gnement (V.1 et V.3) véhiculent des croyances et des pratiques strictement boud¬dhiques, ils ne sont jamais inclus dans le corpus constituant le /beydok/. Une autre curiosité apparue dans cette classification tient au rejet dans le genre des « romans classiques » (II. 1) d’un certain nombre de textes qui sont manifestement les leçons khmères de certains jætaja (« récits de l’une des vies antérieures du Buddha ») issus de grandes collections familières de l’Asie du Sud-Est, comme celle des « Cinquante vies antérieures du Buddha » (Paññasajætaka), ou encore celle des « Cinq cents – voire cinq cents cinquante – vies antérieures du Buddha » (hæ ray jæti). En restreignant, ce faisant, le groupe des jætaka (III. 5) aux récits des « Dix dernières vies antérieures du Buddha » qui constituent le Dassajætaka à l’exclusion de tous les autres, les collaborateurs de l'EFEO-FEMC n’ont fait que traduire une discrimination effectivement pratiquée par les religieux du Cambodge : en effet, jamais les moines khmers ne prêchent en chaire d’autre jætaka que ceux qui sont issus du Dassajætaka, laissant aux religieux défroqués que sont généralement les æcæry des pagodes, le soin de réciter en les mimant les jætaka issus des autres collections, toujours à l’extérieur du vihæra. Une faiblesse manifeste de la classification mise en œuvre par l’EFEO-FEMC tient au caractère assez vague du groupe des « textes de doctrine » (III.1) qui ne se définissent que par défaut. Ce genre passablement imprécis regroupe, en effet, des ouvrages ressortissant bien à l’enseignement ouvert du bouddhisme dispensé dans les monastères, mais ne faisant pas partie de catégories mieux définies (III. 2 à III. 6). Ce défaut de précision est révélateur du fait que, n’ayant jamais été étudiés par les savants occidentaux et n’étant plus jamais lus par les bouddhistes khmers, la plupart de ces textes de doctrine sont passés de la désuétude à l'indifférence et à l'oubli. Leur description seule permettra de proposer classement selon des critères plus affinés, mais elle demeure presque entièrement à faire. Il convient, au demeurant, de signaler que certains des genres littéraires signalés dans ce système de classification des textes, ne sont pratiquement pas représentés dans les bibliothèques monastiques du Cambodge. C'est le cas, par exemple, des «biographies» (j‚v pravatti) dont un seul exemple a été retrouvée dans les bibliothèques inventoriées à ce jour. |